Pour cet article, j’ai décidé de te faire part d’une réflexion personnelle. Elle a émergé il y a quelques temps et me trotte dans la tête depuis, alors le moyen le plus simple de l’en faire sortir est de la poser par écrit. Ma pensée n’a pas l’objectif de répondre à des questions ou d’analyser une situation, mais bien d’être le point de départ d’une réflexion plus globale avec toi par le biais des commentaires en dessous de l’article.
#1 Comment est née cette réflexion ?
Comme tout le monde, il m’est arrivé de devoir postuler pour trouver un emploi, le frigo ne se remplissant pas encore tout seul… Ma candidature a été retenue par une entreprise et me voilà de bon matin à aller passer un entretien de groupe. Nous étions une dizaine de candidats autour de la table et la personne qui nous faisait passer cet entretien a logiquement pris un temps pour nous présenter son entreprise. Une structure en pleine expansion, un billard au milieu des bureaux, un babyfoot à l’étage inférieur, une ambiance excellente, un séminaire au ski et un autre en Espagne rien que sur l’année écoulée pour fédérer encore plus les équipes, elle s’est même permise de relayer avec fierté l’article d’un journal local qualifiant cette entreprise de « petit Google » à la française !
Sur le papier ça donnait envie, et pour ne rien gâcher les salaires et autres avantages étaient assez incroyables de mon point de vue. Oui mais voilà, une phrase apparemment anodine qu’elle a prononcée a activé mon cerveau : « on est une entreprise cool et fun et on souhaite que nos salariés le soient, par exemple lundi dernier c’était une journée déguisée, j’ai fait des recrutements déguisée et il est hors de question que quelqu’un ne vienne pas déguisé ce jour là » (ce ne sont pas les mots exacts mais c’est bien le sujet de la phrase avec la même intensité).
C’est à ces mots que la présentation de l’entreprise parfaite a pris du plomb dans l’aile. Je suis comme toi, j’ai envie d’être heureux dans le travail que je fais, de m’y épanouir et d’avoir de bonnes relations avec mes collègues. Ceux qui me connaissent savent que me déguiser n’est pas vraiment mon truc pour autant j’arrive très bien à me sentir heureux sans ça. Au contraire, me forcer à me déguiser serait me contraindre à faire quelque chose que je n’aime pas et donc aller à l’encontre de ce qui me rend heureux.
Alors de quel droit m’imposerait-on une façon unique d’être heureux dans mon travail ? Comment une entreprise saurait-elle mieux que moi ce qui fait mon bonheur ?
#2 Quand une bonne valeur devient dictature !
Les dérives arrivent quand le bonheur et le bien-être des salariés n’est pas une valeur authentique sur laquelle est fondée l’entreprise. Quand c’est un outil dans le panel de ceux utilisés par l’entreprise uniquement pour augmenter sa productivité, et non un moyen au service du bien commun de l’entreprise et des salariés. J’en veux pour preuve cette idée d’inventer un poste de « Chief Happiness Officer » (Directeur Général du Bonheur), mode qui nous arrive directement des Etats-Unis en ce moment : pourquoi spécifiquement déléguer la responsabilité du bonheur à une seule personne ? Si tu es chef d’entreprise et que le bien-être de tes salariés fait partie de tes valeurs intrinsèques, alors tu l’auras intégrée dans ta gestion globale et à tous les niveaux de ton entreprise. Ce sera quelque chose de naturel pour toi, tes responsables de secteurs et tes salariés, une valeur en filigrane dans toutes les relations et décisions prises dans la structure.
Car lorsque cette valeur n’est pas authentique, voici des exemples de ce qui se passe :
- le bonheur devient une norme : cela voudrait dire que le bonheur serait qualifiable et quantifiable, du coup si tu ne rentres pas dans le cadre exact défini tu es hors jeu. Je suis désolé mais moi je suis humain, et il m’arrive d’avoir des coups de mou certains jours, si la norme c’est d’avoir un niveau de bonheur permanent et constant alors j’affirme sans complexe que c’est un objectif inatteignable pour moi.
- le bonheur est formaté : le bien-être des salariés est validé uniquement par ce que défini l’entreprise. Je reprends l’exemple de mon fameux entretien d’embauche : si je ne vais pas au ski parce que je n’aime pas ça ou si je ne me déguise pas alors ça veut dire que je ne me sens pas bien dans l’entreprise. Sauf que ça n’a absolument rien à voir, de plus ce formatage ne peut pas tenir compte des individualités.
- le bonheur est une obligation : dans cette configuration je me sens obligé d’être heureux, forcé de participer à ce qui est mis en place dans l’entreprise. Je n’aime pas me déguiser ? Et bien je vais le faire quand même et mentir en faisant semblant que ça me plait, dans le but de prouver à mes collègues et mes responsables que je suis bien dans cette entreprise.
- le bonheur est un moyen de pression : si l’entreprise considère qu’elle a tout mis en place pour ton bonheur (Directeur du Bonheur, billard, journée à thème avec déguisement obligatoire, ameublement design et autres joyeusetés de ce genre), elle peut exiger que ta productivité augmente, que tes statistiques soient meilleures car tu n’as plus d’excuses pour ne pas être bien à ton poste de travail.
Cette liste de dérives n’est pas exhaustive, je n’ai cité que ces quatre car comme tu peux le voir elles sont chacunes la suite logique de la précédente.
Au final, quand le bien-être du salarié n’est pas une valeur réelle mais un simple artifice pour augmenter la productivité de l’entreprise on arrive à l’exact opposé de ce qui est dit : d’une valeur qui rassemble et réconforte on obtient un modèle de management excluant et angoissant.
#3 Ma conception du bonheur en entreprise
Il y a beaucoup d’écrits, d’études et de réflexions menés par des chercheurs et leaders reconnus mondialement sur ce qu’est le bonheur au travail. Je te laisse aller farfouiller le net pour trouver leurs travaux et te forger ta propre opinion. Du coup tu peux comprendre que je ne fasse pas ici un essai sur ce sujet.
En revanche je vais tout de même te partager comment je pense que le bonheur est possible au travail. Il est le résultat de l’équilibre entre deux facteurs : le leadership/management de la structure, et toi. Ces deux facteurs sont paradoxalement à la fois intimement liés et totalement indépendants l’un de l’autre !
Dans cet objectif, le leadership/management de l’entreprise a comme responsabilité de tout mettre en oeuvre afin que ses salariés aient les meilleures conditions possibles pour effectuer en confort le travail qui leur est demandé. Dans son livre « Le serviteur », l’auteur James C. Hunter propose une réflexion très intéressante sur le rôle du leader dans une entreprise. Je t’invite à acheter ce livre car il est agréable à lire et les concepts vraiment faciles à appréhender, en attendant je me permets de te résumer un des concepts abordés : celui du leader serviteur. Dans la plupart des entreprises le leader, ou manager, est vu comme une personne à qui tu dois des choses : tu dois lui rendre des comptes, tu dois lui remettre un dossier, tu dois faire les tâches qu’il t’a demandé de réaliser, etc… Or, bien que ton manager soit officiellement ton supérieur hiérarchique son travail c’est d’être au service de l’équipe dont tu fais partie pour te donner les moyens de réaliser ton travail.
Ta responsabilité à toi, c’est de mettre en oeuvre dans ta vie les conditions nécessaires à ton bonheur. Tant au niveau émotionnel et psychologique que physique. Tu es responsable de ton bonheur et ceci même si le management de l’entreprise où tu te trouves est déplorable ! Facile à dire, plus difficile à vivre et pourtant réellement applicable.
Tu vas dire que ce que je viens d’écrire existe seulement dans un monde idéal, moi je t’affirme que ça fonctionne dans ton quotidien. Comme je te l’ai écrit plus haut, ça doit être une volonté commune des deux parties, elles sont liées dans le processus pour que ça ne soit pas seulement un vœu pieux mais une valeur vécue dans l’entreprise. Mais quand j’ai dit que les responsabilités sont indépendantes ça aussi c’est une réalité : tu n’es responsable que de toi et pas du management de l’entreprise. Si tu es manager tu n’es responsable que de ton leadership, pas de la façon dont le salarié veut vivre son travail.
« Tu es responsable de ce que tu dis ou fait mais pas de ce que ça provoque chez l’autre. Tout comme tu n’es pas responsable de ce que dit ou fait l’autre mais tu l’es de ce que ça provoque chez toi. » Paul Marc Goulet.
CONCLUSION
En management il n’y a rien de pire que les « fausses valeurs » car en les pratiquant artificiellement elles font plus de mal que de bien. Si le bien-être du salarié n’est pas ta priorité dans ton leadership assume le, et si tu souhaites changer à ce sujet alors fais-le uniquement quand tu es profondément convaincu que c’est ce que tu veux.
Une petite anecdote pour conclure cet article : l’entretien s’est déroulé de 10h à 13h et de là où j’étais assis je pouvais voir par la porte vitrée de la salle, une vue parfaite sur l’espace détente. Durant ces 3 heures je n’ai vu aucun employé de l’entreprise jouer au billard, aller à la machine à café ou même partir en pause déjeuner ! Le bonheur comme moyen de pression…
A toi de jouer dans les commentaires, ton retour m’intéresse !
SOURCES :
- Livre « Le serviteur » de James C. Hunter – Editions du trésor caché
- Challenges.fr – Bien-être au travail : les start-up sont elles si « cool » ?
- Cadreo.com – Management : faut-il en finir avec le « bonheur au travail » ?
- Socialter.fr – Le bonheur en entreprise : progrès ou arnaque ?